Opinion

Le rappeur comorien Titi le Fourbe au cœur d’une tempête médiatique (Par Houdaidjy Said Ali)

L’actualité culturelle aux Comores est aujourd’hui marquée par le jeune artiste de Hahaya, Anrithi Mohamed Saïd, plus connu sous son nom de scène Titi le Fourbe. Il s’impose comme l’un des rappeurs les plus écoutés du pays, si ce n’est le premier, porté par une large base de fans séduits par son style singulier, audacieux et assumé. Ses textes, visionnaires et parfois provocateurs, traduisent la force de sa plume et l’originalité de sa pensée.

Réputé pour sa confiance en lui, Titi le Fourbe avait récemment lancé un défi à ses pairs en affirmant hautement sa place de numéro un sur la scène artistique comorienne. C’est son ami Bilwiz qui a relevé ce défi, les deux artistes devant se produire ensemble à Dakar, au Sénégal, dans le pays de Cheikh Anta Diop, lors d’un spectacle prévu pour le samedi 27 septembre 2025. Tandis que Bilwiz avait déjà quitté la France pour rejoindre l’aéroport Blaise Diagne, le parcours de Titi le Fourbe a, quant à lui, pris une tournure plus délicate.

En effet, l’artiste a diffusé une vidéo tournée dans l’enceinte de l’aéroport des Comores, où il apparaissait avec une arme factice et tenait des propos jugés inquiétants. Si certains y ont vu une mise en scène humoristique destinée à promouvoir ses projets musicaux, d’autres y ont perçu un acte dangereux, soulevant l’indignation d’une partie de l’opinion publique.

Cette affaire l’a conduit à être convoqué par les autorités et finalement traduit devant la justice. D’abord, la situation semblait grave : il encourait théoriquement jusqu’à cinq ans de prison. Toutefois, après examen, la qualification des faits n’a pas retenu la nature criminelle ou délictuelle initialement envisagée. Le tribunal a opté pour une requalification juridique, estimant que l’intention délictueuse n’était pas caractérisée : Titi n’avait manifestement ni la volonté de troubler l’ordre public ni celle de commettre un acte compromettant.

Au terme du procès, il a été condamné à un mois de prison avec sursis et à une amende de 1 000 euros. Ce verdict reflète la reconnaissance du caractère inapproprié de son geste, tout en tenant compte du fait qu’il ne s’agissait pas d’un acte criminel, mais plutôt d’une imprudence sanctionnée comme une infraction mineure.

Bien que la requalification juridique ait été appliquée dans l’affaire de Titi le Fourbe, il convient de souligner la clémence du juge. En effet, la notion de trouble à l’ordre public, souvent invoquée, demeure particulièrement vaste et ne constitue pas une infraction autonome. Le magistrat a dû procéder à une qualification pénale précise : soit une violation des règles de sûreté aéroportuaire, soit l’exhibition d’une arme fût-elle factice dans un lieu public, soit encore un acte susceptible de troubler la tranquillité ou de provoquer la panique. La nuance essentielle reste la nature factice de l’arme et l’intention artistique de l’artiste, sans qu’aucune violence réelle n’ait été commise.

C’est sur cette base que la décision a été rendue samedi dernier, jour même où Titi devait se produire à Dakar aux côtés de Bilwiz, devant une importante communauté comorienne. Le verdict a été prononcé en présence d’un large public, composé de ses partisans, ce qui a conduit certains à estimer que la décision avait pu être influencée,un point sur lequel il conviendra de revenir.

Durant sa brève détention, l’affaire a largement alimenté les médias comoriens. Tandis que certains dénonçaient un geste irresponsable, d’autres s’indignaient du comportement des autorités, soupçonnées d’avoir sciemment attendu le moment de son départ pour intervenir, dans le but de freiner son ascension artistique. Beaucoup y ont vu une tentative de nuire à un événement majeur de sa carrière, au moment même où il s’apprêtait à franchir un cap décisif.

Cette lecture trouve un écho dans l’univers même de Titi le Fourbe : l’un de ses titres les plus populaires, « 2Pac », contient une phrase devenue emblématique où il annonçait que l’on chercherait à le faire taire comme on a assassiné Tupac Shakur. La comparaison, pour certains, n’a rien d’anodin. Déjà, son franc-parler, sa plume acérée et ses punchlines philosophiques suscitent des jalousies et des inimitiés. Être le meilleur, surtout dans un milieu aussi compétitif que le rap, c’est aussi s’exposer à la rivalité et parfois à la haine.

Ainsi, la question se pose : Titi le Fourbe est-il victime de jalousie, qu’elle vienne d’autres artistes ou de cercles extérieurs ? L’hypothèse n’étonnerait guère, car beaucoup reconnaissent qu’il est aujourd’hui l’un des meilleurs, si ce n’est le meilleur rappeur comorien. L’image de Titi, entouré des forces de l’ordre au tribunal, a d’ailleurs suscité un parallèle frappant sur les réseaux sociaux avec une célèbre photo de Tupac. Certains y ont vu une prédiction en train de s’accomplir, ce qui nourrit la crainte que sa prophétie ne se réalise un jour. Espérons toutefois que, contrairement à son illustre modèle, il ne devienne pas victime de ses propres visions, trahi par ses proches ou par son succès.

Il faut enfin noter que Titi n’a pas manqué de recevoir un large soutien. L’artiste iconien LeG Arzam a publiquement appelé à sa libération, au-delà des rivalités inhérentes au monde du rap, fait de clashs autant que de partages. Dans un message empreint de fraternité, il a rappelé que Titi restait avant tout un confrère, un « frère d’armes » dans la musique. Ce geste, salué par de nombreux internautes, a renforcé l’image d’un artiste solidaire, capable de mettre l’humanité et la dignité au-dessus des rivalités artistiques, offrant ainsi un bel exemple dans un moment de tension.

Il faut retenir un point essentiel : malgré la polémique, l’affaire Titi le Fourbe aura eu un mérite. Elle a mis en lumière la nécessité, pour les autorités comoriennes, de renforcer la vigilance en matière de sécurité aéroportuaire, un domaine qui laisse encore à désirer. Dans un sens, son geste a servi d’électrochoc. Mais l’essentiel demeure que l’artiste ait pu retrouver les siens, renouer avec la scène musicale et poursuivre une carrière qui s’annonce prometteuse.

Au-delà de son cas individuel, cet épisode a constitué une véritable leçon pour la jeunesse comorienne. Il rappelle que l’erreur d’un seul peut servir d’avertissement collectif : trop souvent, les jeunes ignorent les règles et se permettent des libertés excessives, notamment à travers les réseaux sociaux, où l’illusion d’une liberté absolue conduit à publier, dire ou faire n’importe quoi. L’affaire Titi le Fourbe montre que tout acte a des conséquences et qu’il est temps d’apprendre à réfléchir avant d’agir.

Mais cette affaire ne s’est pas limitée au domaine artistique. Elle a rapidement pris une dimension politique. Dans un pays traversé par de profondes tensions, la décision judiciaire concernant Titi a été instrumentalisée. Les opposants au régime et certains séparatistes ont dénoncé un « traitement de faveur », arguant que la célérité de la procédure s’expliquerait par le fait que l’artiste soit un Grand-Comorien. Ces propos ont aussitôt été mis en parallèle avec des dossiers beaucoup plus graves, comme celui de l’ancien président Ahmed Abdallah Mohamed Sambi, condamné par la Cour de sûreté de l’État.

Il est important de rappeler que ces comparaisons sont infondées. Les faits reprochés à Titi le Fourbe n’ont rien à voir avec ceux imputés à Sambi ou à d’autres responsables politiques comme Salami. Titi n’a jamais été chef d’État, il n’a jamais exercé de fonction gouvernementale et n’a jamais été poursuivi pour la vente de la citoyenneté économique. L’assimiler à ces figures n’a donc aucun sens.

Il convient d’insister : l’affaire Titi le Fourbe relève d’un dossier strictement personnel, traité dans un cadre judiciaire classique, sans influence extérieure ni manipulation populaire. La justice a statué en toute indépendance, dans le respect de l’éthique et du droit. La polémique, alimentée par ceux qui cherchent à diviser, ne doit pas détourner l’opinion publique de cette réalité.

Rappelons d’abord une évidence : l’État détient le monopole de la violence légitime. Il est inconcevable d’accepter que des individus ou des groupes cherchent à conduire le pays vers une instabilité chronique. Les Comores ont déjà trop de défis à relever pour que l’on tolère des appels à l’insurrection déguisés en discours médiatiques. Comment expliquer que certaines voix, sur les réseaux ou dans les médias, tentent de laisser croire que « le peuple a libéré Titi le Fourbe » tandis que d’autres n’auraient pas bénéficié d’un tel traitement ? Faut-il admettre que l’on incite désormais la jeunesse à se mesurer à l’État, à saper l’autorité de la justice comorienne et à manquer de respect aux institutions ? Ces démarches sont dangereuses et irresponsables.

En écrivant cela, je ne peux m’empêcher de renvoyer à un article que j’ai publié dans le quotidien Alwatwan le 8 octobre 2024, intitulé : « Une presse non régulée risque de provoquer l’instabilité aux Comores ». À cette époque, j’appelais déjà à un journalisme éthique et mes propos avaient trouvé un écho lors de mon entretien avec Mme Fatima Ahamada, ministre de la Promotion du genre, de la Solidarité et de l’Information. Cet échange m’a conforté dans l’idée qu’un traitement médiatique sans discernement peut jeter de l’huile sur le feu.

Il faut faire preuve de discernement et cesser de confondre des faits de nature différente. L’affaire Titi le Fourbe relève d’un dossier artistico-juridique : un manquement individuel sanctionné par la justice dans le cadre d’un comportement inapproprié. Les dossiers concernant Ahmed Abdallah Mohamed Sambi, ou d’autres responsables politiques, relèvent quant à eux d’enjeux juridico-politiques et méritent un examen distinct. Mélanger ces situations revient à brouiller les repères et à entretenir la confusion.

Je n’ai personnellement aucune hostilité envers Titi : il ne m’a rien fait. Sa situation relève de sa responsabilité individuelle et de l’application du droit. En revanche, s’agissant du procès de Sambi, une question légitime demeure : où est l’argent du peuple comorien ? Tout au long du procès, la transparence sur l’emploi des fonds n’a pas été apportée; c’est une interrogation que beaucoup partagent et qui mérite réponse. De la même manière, il convient d’interroger publiquement la gestion de l’opération Riyale et, le moment venu, d’examiner les comptes des régimes successifs, y compris celui d’Azali.

Que trouve‑t‑on, aujourd’hui, dans le traitement médiatique de l’affaire Titi ? Pour l’essentiel, des comparaisons hâtives, des appels à la division et des propos séparatistes. Certains cherchent à instrumentaliser un incident mineur pour attiser des haines politiques. Ne confondons pas critique légitime et tentative de déstabilisation : ne pas aimer un dirigeant est un droit démocratique, mais la provocation gratuite, le populisme incendiaire et l’incitation à la haine mènent au chaos. La démocratie admet la pluralité des opinions; elle n’autorise pas la mise à feu de la nation.

L’affaire Titi le Fourbe doit nous servir d’avertissement : réfléchissons avant de publier, évitons les amalgames et protégeons l’unité nationale. Nous avons suffisamment de problèmes pour ne pas en créer de nouveaux par imprudence ou par volonté de division.

HOUDAIDJY SAID ALI
Juriste Publiciste et Internationaliste
Paris – France

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1 Comment

  1. Ihab Ben Saïd Abdou

    septembre 29, 2025

    Franchement, je suis un jeune Comorien qui aime beaucoup lire et qui est très intéressé par la culture générale, les informations etc excepté celle des Comores à cause des inepties que peuvent dirent beaucoup de nos journalistes.
    Le fait de tomber sur un article aussi bien conçu avec des arguments logiques et une vraie neutralité de journaliste me motive à espérer que le journalisme comorien pourra un jour devenir du vrai JOURNALISME.

    Un grand merci pour ce Monsieur, qui d’ailleurs n’est pas journaliste, mais qui l’est quand même plus que ceux qui prétendent l’être chez nous!

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